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Sommaire
Volume 3, no 4
Le renouveau coopératif en Afrique : la fibre solidaire au service du pouvoir d'agir

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Le renouveau coopératif en Afrique : la fibre solidaire au service du pouvoir d’agir


Abdou Salam FALL, sociologue, directeur de la Formation doctorale « Sciences Sociales appliquées au Développement », LARTES-IFAN, Université Cheikh Anta Diop de Dakar


Un contexte africain où la coopérative est ancrée dans une vitalité associative

L’Afrique reste marquée par son faible développement contrastant avec son potentiel de croissance endogène. Néanmoins, les formes de résilience face à la crise s’y distinguent et prennent leurs racines dans la fibre solidaire qui demeure un patrimoine immatériel vivifiant. Ces résiliences s’organisent au cœur de la vie associative et prennent le plus souvent des formes coopératives qui valorisent les liens horizontaux au sein des différents groupes socio-économiques. Dans divers domaines et pour valoriser de plus en plus de niches, des mutuelles ou coopératives tissent leur espace libre et font passer des produits locaux sur les scènes nationale et internationale. Des produits locaux acquièrent plus de valeur sur les marchés, des producteurs anonymes s’affirment, tandis que des richesses s’ajoutent et libèrent les acteurs populaires de leur marginalité d’avant.

Au-delà des produits, s’organiser devient la marque d’une solidarité au sein et entre les groupes. On passe du quartier au milieu ouvrier où les travailleurs mobilisent de l’épargne pour tendre la perche à des acteurs de l’informel. On a donc assez vite conclu à tort à un usage instrumental des coopératives en Afrique alors que ce continent offre l’espace d’un renouvellement de l’élan coopératif qui, d’une part, révèle l’élargissement du terrain de l’innovation sociale et économique portée par la solidarité et, d’autre part, la réhabilitation des dynamiques habituelles de groupes que le terreau solidaire des communautés plurielles d’appartenance place bien comme un mode de vie séculaire.

Il est vrai que l’Afrique a connu et on y pratique toujours les sociétés de travail, cette solidarité qui conduit chaque membre d’une communauté à pouvoir mobiliser exceptionnellement les autres pour aider durant des périodes de travaux des champs faisant appel à une main-d’œuvre importante ou alors au cours de travaux de construction d’une case, véranda ou plus encore d’une toiture. Les biens communs se sont bâtis grâce à des mobilisations du grand nombre des différentes franges des populations. Les associations cofinancent avec les États les villes religieuses.

Certes, la coopérative a voyagé au travers des continents. Des leaders politiques l’ont découverte ailleurs et l’ont introduite d’autorité dans la paysannerie africaine. À la place de la participation populaire, ces leaders ont recouru à l’anticipation, souhaitant autonomiser les producteurs agricoles des intermédiaires affairistes dont ils dépendaient pour s’approvisionner en intrants et commercialiser leur récolte. Dans plusieurs pays, les coopératives paysannes ont été parachutées. Par la suite, les plans d’ajustement structurels des institutions de Bretton Woods ont préconisé de les effacer de la carte des acteurs.

Deux décennies plus tard, la forme coopérative refait surface, inspirée désormais par le besoin de s’organiser selon les proximités de classes ou groupes socio-économiques. Ces groupes puisent dans leurs ressources de mise en réseaux pour s’affranchir des contraintes, inégalités et manque d’accès aux ressources. Le capital social leur sert de jonction pour entreprendre ensemble et conquérir des espaces d’action.

Dans cet article, les exemples sont pris dans divers pays d’Afrique : la coopérative Heiveld de thé rouge en Afrique du Sud, la coopérative d’huile d’argane au Maroc et, enfin, la mutuelle financière de solidarité ouvrière en faveur du secteur informel au Sénégal porté par la Centrale nationale des travailleurs du Sénégal.  Les études de cas sont mises en lien d’abord sous l’identité ou la référence commune qui unit les membres des coopératives. Ensuite, la comparaison laisse entrevoir de quelles manières les coopératives portent souvent la production locale pour la valoriser et la mettre sur les marchés (national et international). L’autre angle d’analyse met en relief les innovations favorisées par les coopératives pour se frayer leur espace propre. En conclusion, le lien social apparaît comme une valeur ajoutée des coopératives qui s’intègrent dans l’économie sociale et solidaire et devraient influencer les autres modèles économiques.

Une solidarité bâtie sur l’identité 

Les acteurs solidaires gardent un référent commun ou une identité partagée qui les mobilisent. Du fait de son caractère volontaire, la coopérative réunit des acteurs qui s’identifient mutuellement et se regroupent face à un besoin commun ou à une aspiration. La Coopérative Heiveld pour la production du Wupperthal Rooibos TEA ou Thé rouge en Afrique du Sud en donne une bonne illustration. En effet, bien qu'elle soit une culture traditionnelle des populations natives et noires d'Afrique du Sud, la commercialisation et l'exportation du Rooibos étaient restées maîtrisées par les Blancs. Mais, depuis le milieu des années 1990, quelques communautés noires et métisses se sont lancées dans la commercialisation de leur production.

La communauté de Wupperthal est constituée d'anciens esclaves provenant des fermes voisines qui ont rejoint le village à la suite de l'abolition de l'esclavage en 1838. Lors du retrait des missionnaires en 1998, elle s'est constituée en association puis en coopérative, reconnue légalement en 2005, date à laquelle elle obtient également la certification commerce équitable (FLO) et le label biologique. Aujourd'hui, plus de 150 familles produisent 120 tonnes de Rooibos et le nombre de membres continue d'augmenter.

La coopérative est affiliée à une entreprise dénommée « Pur Projet » créée par les fondateurs d’Alter Eco à travers son réseau (50 organisations partenaires d’Alter Eco représentant plus de 150 000 planteurs dans 30 pays du Sud de la Certification du Commerce Équitable et de l’Agriculture Biologique).

 

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Tous anciens ouvriers agricoles sous-utilisés par les gros exploitants de l’époque, ils sont devenus, à la force du poignet, propriétaires de leurs terres et de leur outil de production. Grâce à un prêt du gouvernement, acquis dans le cadre de sa politique de redistribution des terres, Jacobus Koopman a pu racheter l’exploitation sur laquelle il était «esclave». Les autres modestes fermiers ont fait de même. Il y a trois ans, la coopérative est parvenue à s’affranchir de son revendeur pour traiter directement avec ses clients.

Prenons un autre exemple de coopératives de production de l’huile d’argane au Maroc. Deuxième essence forestière du pays après le chêne vert, avec ses 800 000 ares et ses 20 millions de pieds, l’arganier est en pleine émergence. La constitution de Groupements  d’intérêt  économique  (GIE)  a permis  de  briser l’isolement des coopératives vis-à-vis du marché extérieur et de mettre en place une force de négociation, face au marché international et aux industries de la filière argane. Quatre groupements sont ainsi nés de cette initiative (les GIE Argan Taroudant, Vitargan, l’UCFA et Targanine). Pareillement, l’ANCA (Association nationale des coopératives d’Argières) a également été créée. Traditionnellement, les femmes marocaines produisaient l’huile d’argane à domicile, en réalisant chacune les différentes étapes (la cueillette, le concassage, la presse) de la production. Le travail groupé, au sein des coopératives d’insertion socio-économique, change ce mode de fonctionnement. Il permet de réunir des quantités suffisantes  de  production,  afin de devenir de véritables interlocuteurs commerciaux auprès des acheteurs nationaux et internationaux. Afin d’être soutenues dans leurs démarches commerciales, un certain nombre de coopératives se sont aussi groupées au sein de GIE (Groupements d’intérêt économique). La solidarité féminine se construit par l’entrepreneuriat.

Ce sont les femmes qui sont au cœur de la coopérative. Aujourd’hui, l’arganeraie est à l’origine de plus de 20 millions de journées de travail, dont 7,5 millions occupées par des femmes. Pour la majorité, les coopératives ont associé des femmes qui n'ont jamais été à l'école, qui n'ont jamais gagné d'argent, des femmes qui ont décidé de prendre leur destin en main.

 

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D’une centaine d’adhérentes en 1999, on en compte aujourd’hui plus de 4000. Ces coopératives ont pour objectif d’assurer la promotion socio-économique des femmes  dans  les  régions  rurales  de  l’arganeraie.  Certaines  ont  aussi  vocation citoyenne  de  devenir  des  espaces  de  valorisation  des  femmes  dans  la  société rurale,   puisque   l’extraction   de   l’huile   d’argane  est   un   procédé  dont  elles possèdent un savoir-faire ancestral. Même si actuellement quelques coopératives ont accepté l’introduction de méthodes d’extraction semi-mécanisées afin d’alléger la charge de travail des femmes.

Évoquons un dernier exemple où la finance solidaire ouvre la voie au syndicalisme du secteur informel et réhabilite d’autres identités. En 2005, la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS) met en place la Mutuelle d’épargne et de crédit pour la solidarité ouvrière (MESCO) dans le but d’accompagner les travailleurs ayant perdu leur emploi ou dans des conditions de travail précaires du secteur informel. La MECSO soutient financièrement  les porteurs de projet de petit commerce, de transformation des produits locaux (agroalimentaires), les artisans, ouvriers et employés de soutien grâce à un système de remboursements étalés et souples. Dans un pays où le secteur informel, en forte effervescence, occupe plus de 90% de la population active (dont un fort effectif de femmes),  une structure à  l’image de la MESCO va servir de tremplin pour faire bénéficier aux travailleurs la fibre solidaire de la micro-finance. Par la MECSO, la micro-finance est à la rescousse des travailleurs licenciés et de ceux exclus des crédits classiques bancaires pour leurs micro-entreprises. Ainsi, elle contribue à élargir la base de recrutement syndical au cœur des travailleurs faisant face à un besoin d’organisation et de solidarité active. La MECSO a été mise en place par la CNTS dans le double but de réduire la pauvreté et d’offrir aux travailleurs du secteur formel et ceux de l’économie informelle des services financiers adaptés à leurs besoins de promotion de petites entreprises.

Les objectifs de développement de la MECSO sont de quatre ordres : renforcement des capacités par la formation ; équipement, aménagement et sécurité ; développement organisationnel et partenariat ; accessibilité aux services financiers des travailleurs du secteur informel. On observe une progression fulgurante du nombre de membres de la mutuelle et de nouveaux syndicats. Partie de 150 membres en fin 2005, la MECSO en compte plus de neuf fois plus en 6 ans d’existence, soit 1245 en décembre 2011. À ce nombre, il faut ajouter les résultats des points de services syndicaux, notamment dix groupements de femmes transformatrices des produits locaux dans l’agglomération urbaine de Dakar (décembre 2011), un syndicat d’agriculteurs urbains (décembre 2009), un autre syndicat d’artisans fabricants de fourneaux Jambar, (décembre 2010), etc.

De  nouveaux produits dans ses services ou l’amélioration de l’offre de la MECSO marquent cette évolution. Ainsi, la santé est désormais partie intégrante des services offerts par la mutuelle en réponse aux doléances exprimées par les bénéficiaires (prise en charge des adhérents du syndicat et octroi de crédit pour les non-adhérents). Par ailleurs, les crédits express ou crédits d’urgence sont alloués. Cela traduit un prêt automatique si un besoin urgent interpelle le client sans apport personnel ni de garanti. Avec les Services d’appui syndicaux (SAS), la CNTS donne aux travailleurs l'occasion de choisir  l’activité qui sied le mieux à leur envie et capacité. Ainsi en 2009, la CNTS a aidé les acteurs du secteur de l’économie informelle à mettre en place 40 SAS au niveau national et plus précisément dans les régions de Dakar, Thiès, Saint-Louis et Matam.

La MECSO va au-delà des offres de services traditionnellement proposées par les institutions financières, dans la mesure où le sociétariat triple presque chaque année à travers le service d'épargne et de crédit. Pour autant, la MECSO se donne comme perspective d'être l'interface entre les acteurs et les institutions de prévoyance sociale afin d’assurer à ces derniers la sécurité sociale. Autrement dit, la MECSO offre des services de santé et de crédit à ses clients tout en les accompagnant pour s’insérer progressivement dans des dispositifs nationaux de protection sociale. La MECSO devient un incubateur solidaire qui prépare et entraîne ses clients à l’organisation coopérative et à leur insertion dans des dispositifs de plus grande échelle d’action de sécurité sociale.

Il ressort de la nouvelle gamme de produits, un assouplissement des conditions d’accès aux services financiers et non financiers au sein de la MECSO. La fibre relationnelle sociale est le socle de l’organisation mutualiste, car l’association est le pivot organisationnel. Les mots clés demeurent : proximité, réciprocité sociale, démocratie associative. Les entreprises sociales poursuivent une efficacité économique tout en poursuivant des finalités sociales.

Les services offerts par la MECSO sont déterminés par les conditions des membres organisés selon des cadres définis librement par les associés. Les petits épargnants voient leurs activités valorisées, l’inclusivité est de règle. Le temps ou le montant de la mise ne sont plus des contraintes. Certes l’autocontrainte demeure. Mais la contrainte à l’autocontrainte est assouplie pour se configurer en fonction des groupes d’acteurs associés selon leur domaine d’activité et leur appartenance commune à un territoire.

Les différents exemples conduisent à montrer comment par la coopérative de thé rouge des anciens ouvriers agricoles conquièrent leur pouvoir d’agir. De même au Maroc, l’organisation coopérative devient le ferment de liens horizontaux entre les femmes productrices traditionnelles de l’huile d’argane. Les femmes démontrent leur expérience d’organisation fondée sur la recherche d’autonomie. Au Sénégal, l’ouverture de la Centrale syndicale CNTS en direction du secteur de l’économie informelle s’opère par le moyen de la micro-finance, en particulier la MECSO. La finance solidaire sert dès lors à propulser des liens sociaux de soutien à la micro-entreprise mais devient également un outil actif pour étendre le syndicalisme dans l’économie informelle. La diversité des corps de métiers qui adhèrent nouvellement à la mutuelle et au syndicat traduit la pertinence de l’offre de micro-finance de la MECSO. La finance solidaire contribue donc à démocratiser l’économie en adoucissant les conditions d’accès pour le grand nombre au marché. Elle favorise une économie plus humaine et plus proche des acteurs populaires. La forte participation des femmes à la MECSO est également le signe d’un élan effectif d’inclusivité de la finance solidaire. Les femmes ne se contentent pas de gérer l’économie domestique, elles développent l’entrepreneuriat qui les insère au marché dont l’exposition à l’épreuve des citoyens le déconcentre en faveur des acteurs populaires. La coopérative consolide des identités des membres. Elle se montre flexible à diverses conditions sociales et identités de groupes.

Une niche de production locale sur orbite

La coopérative biologique des fermiers de Heiveld se situe en Afrique du Sud dans la région de Bokkeveld, à 400 km au nord de Cap Town. Le plateau de Bokkeveld est un plateau sec, sableux et rocailleux, couvert par une végétation typique de la région de Capeland. Les principales activités de la région sont l’élevage extensif et la culture de Rooibos. La coopérative possède du Rooibos sauvage et de culture. Cet arbre à « thé rouge » ne pousse qu’en Afrique du Sud. Le « thé rouge », en réalité une infusion rouge dorée nommée « thé » abusivement, connaît un fort succès depuis quelques années grâce à ses propriétés antioxydantes et à sa forte teneur en polyphénols. Cela a permis une augmentation de la demande et une stabilisation des prix pour les producteurs de la coopérative de Heiveld. La Coopérative Heiveld, Sud Bokkeveld, installée sur une zone désertique est constituée de 62 producteurs de thé rouge Rooibos, certifiés FLO et Bio. La mise en culture du thé rouge Rooibos sauvage, espèce menacée a démarré en 2007 à la suite du Programme de plantation. Les expériences réussies ont été enregistrées pour la première fois au niveau mondial. L’objectif étant une replantation significative en consortium avec les autres plantes natives (2000 hectares) et de suivi : valorisation, commercialisation.

La vente à un prix commerce équitable du thé rouge biologique a permis la mise en place d’un plan pour assurer la sauvegarde des arbres de rooibos sauvages. La prime «commerce équitable» a ainsi contribué à préserver la biodiversité et l’environnement. En outre, depuis la création de la coopérative, les petits producteurs ont multiplié par 10 leurs revenus. Les fermiers cherchent aussi à se développer en construisant leurs propres locaux de stockage. Désormais, les boîtes sont réalisées sur place ce qui permet d’augmenter la plus-value des producteurs et de valoriser leurs produits.

Dans le cas du Maroc, c’est l’argania spinosa, un épineux qui est à l’origine de la production de l’huile d’argane. L’arganeraie  s’étire  au  sud-ouest  du  pays  dans  la  région  située  entre  Agadir  et Essaouira. L’huile, à laquelle on reconnaît de nombreuses vertus est rare  [1]. Utilisée depuis toujours dans la gastronomie marocaine et pour les soins de la peau, elle jouit, depuis la fin des années 1990, d’un nouvel intérêt de la part du consommateur d’Europe, d’Amérique, du Japon et d’Afrique. Le fruit de l’arganier, plus précisément son noyau, permet de produire une huile extra-vierge aux propriétés  exceptionnelles. Six à sept  arbres sont  nécessaires pour produire un seul litre d’huile d’argane. Le travail d’extraction est traditionnellement effectué par les femmes berbères qui perpétuent cette tradition ancestrale. Depuis une dizaine d’années, cette activité, jadis traditionnelle, s’est développée sur le mode industriel, pour répondre à la demande croissante des marchés étrangers.

À la fois en Afrique du Sud et au Maroc comme dans de nombreux pays, la coopérative tire les ressources locales pour les porter plus loin en faisant donc que le potentiel local en renforce la mise en perspective des territoires et des localités.

La coopérative s’intègre au marché national et international

L’exportation du thé rouge se fait vers l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suisse, l’Italie, la France, la Belgique, les États-Unis d’Amérique, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l'Australie. Au niveau régional et national, l'association Wupperthal a rejoint en 2005 l'Association Commerce et Équité qui regroupe les organisations de petits producteurs d'Afrique du Sud afin d'être mieux prise en compte par le gouvernement et les institutions. Heiveld produit également environ 4 tonnes de rooibos sauvage, uniquement destiné à l’exportation. Un véritable plus pour ce produit qui vise avant tout les consommateurs soucieux de leur bien-être. Le buisson est coupé de manière à pouvoir être récolté sept fois, aucun pesticide ni engrais ne sont utilisés et les feuilles sont séchées naturellement, au soleil. Même le balai employé pour nettoyer la cour est en feuilles de rooibos bio. Les fermiers noirs de cette région ont été victimes de la discrimination raciale à l'époque coloniale et sous l'Apartheid. La coopérative compte aujourd’hui 62 propriétaires terriens, dont beaucoup de jeunes de la région. La coopérative produit 60 à 70 tonnes de rooibos cultivé chaque année. En Afrique du Sud, la récolte totale compte plus de 10 000 tonnes par an.

Ses exportations annuelles ont quadruplé en 13 ans et le marché global compte pour plus de 600 millions de rands (environ 60 millions d’euros) dans l’économie sud-africaine. Si les exportations explosent, les revenus des exploitants sont instables et les marchands et détaillants reçoivent en général un revenu plus important. C’est pour s’extraire de cette logique que des fermiers, défavorisés au temps de l’Apartheid, ont créé une coopérative de petits exploitants, dans la région de Nieuwoudtville. Avec 13 autres fermiers, Jacobus Koopman est à l’origine, au début des années 2000, de la coopérative de Heiveld.

Dans le cas de l’huile d’argane, la fédération des coopératives a créé un Groupement à intérêt économique (GIE Targanine) qui a permis la promotion de l’huile d’argane à l’échelle internationale par des conférences et des participations à des expositions internationales. Le GIE a également favorisé la production d’huile d’argane de qualité reconnue à l’échelle internationale (Label Slow Food) et certifiée biologique par Ecocert. Cette huile a contribué au développement de la région par le tourisme national et international. Enfin, la constitution en GIE a fortement aidé au renforcement institutionnel des coopératives.

La création de coopératives qui produisent de l’huile d’argane selon un processus artisanal a engendré, en outre, des retombées positives pour les femmes marocaines d’origine rurale. En effet, les coopératives féminines de production d’huile d’argane ont permis d’améliorer la condition des femmes même si elles font face à des problèmes de bonne gouvernance, d’analphabétisme qui demeurent difficiles à éradiquer et d’une concurrence provenant des entreprises industrielles, à laquelle il n’est pas toujours aisé de faire face. En outre, les  valeurs  du  GIE  Targanine  s’intègrent  parfaitement  dans  celles  du  commerce  équitable :  solidarité, indépendance, participation, démocratie et responsabilité. Selon les chiffres du gouvernement marocain, la proportion de coopératives tenues par des femmes est passée de 2,14 % en 1995 à 12,5 % en 2010. Le Royaume compte désormais plus de 7000 coopératives, qui regroupent 360 600 membres.

En résumé, la coopérative s’insère bien dans l’économie réelle. Elle n’a pas pour vocation de se développer dans une économie parallèle mais bien plus dans le marché pour contribuer à le réguler en faveur de ses intérêts c’est-à-dire d’une production et des services plus responsables. La part de marché des coopératives monte. Les crises ont révélé que les coopératives tournent le dos à l’économie spéculative et s’inscrivent dans une économie redistributive.

Les coopératives : des innovations en ligne de mire

Avec la fondation de la Coopérative Heiveld en 2001, les agriculteurs de Rooibos ont tenu à réduire les coûts de production en établissant un centre collectif de traitement du thé. Avant, ils étaient tous dépendants d'une théière détenue par les grands exploitants, et ont estimé que tout le profit qu'ils auraient pu faire a été consacré à des coûts de transport et de location excessives pour l'utilisation des installations.

Un conditionnement local de thé Rooibos par les membres de la communauté va créer des occasions d'emploi et ajoutera de la valeur au produit. La coopérative bénéficie d’une double certification : Certification du commerce équitable/Certification biologique UE, NOP et Naturland normes. Au niveau local : la prime de développement FLO International, Naturland Foire a été utilisée pour financer des projets sociaux dans le village : comme la rénovation et l'équipement de l'école mais aussi pour soutenir le développement du projet productif.

D’une  façon  générale,  les  coopératives  engendrent  de  nouvelles  occasions d’emploi, elles soutiennent l’amélioration des conditions de travail, l’augmentation des revenus et la formation professionnelle des femmes. Les  coopératives  qui  se  sont  regroupées  au  sein  d’associations  résisteraient davantage  aux  multiples  pressions  subies.  Outre  sa  dimension  socio-économique,  l’arganeraie  constitue  aussi  un  enjeu écologique  de  taille.  Située  aux  portes  du  désert,  elle  permet  de  contenir  sa progression. Mais si la superficie de la forêt d’arganiers s’étendait sur un million et demi d’hectares au début du XXe siècle, elle a aujourd’hui fondu de moitié et ne représente plus que 7% de la surface forestière du pays.

Au total, les coopératives favorisent des emplois massifs dans les milieux populaires mais des risques écologiques sont à surveiller. De son côté, la mutuelle valorise l’autopromotion du syndicat. La MECSO  a depuis maintenant 6 ans lancé le produit « TIGO » (signifiant facile d’accès). C’est une initiative ouverte aux femmes et aux jeunes évoluant dans l’économie informelle et qui consiste à une épargne journalière. Il n’existe pas de somme forfaitaire. Tout montant est  accepté et après chaque dépôt, un reçu daté est remis au client. L’épargne est bloquée pour une année. Un membre du bureau fédéral est chargé de la collecte et, par la même occasion, de la sensibilisation des bénéficiaires sur les produits et autres avantages de la mutuelle.

La micro-finance a été un moyen d’accroître l’adhésion aux syndicats. La centrale syndicale (CNTS), après avoir constaté l’engagement des acteurs de l’économie informelle dans les services financiers  et  la stabilité de leurs revenus, a multiplié ses activités de sensibilisation lors de ses congrès annuels et régionaux avec la volonté affichée d’étendre le nombre d’adhérents aux projets et de les encadrer à mieux défendre et promouvoir leurs intérêts. Par la suite, des adhésions massives sont notées au niveau local comme au niveau national (les femmes teinturières de Matam (au nord), les transformatrices des produits halieutiques de M’Bour (sur la Petite Côte), les exploitantes de sel de Saint-Louis au Nord).

La CNTS a su donc revisiter ses textes dans la mesure où la décision qui consistait à n’inclure dans le mouvement que les salariés du public et du privé est résorbée et à la place la nouvelle stratégie consiste à se rapprocher de tout travailleur quelque soit son profil, son statut, son activité dans le secteur formel comme dans le secteur informel.

En offrant des services de proximité, la mutuelle a réussi à valoriser la fibre sociale et à faire de la rentabilité sociale sa première vocation. Le profit stricto sensu ne doit pas être au centre de l’activité, mais bien la promotion du micro-entrepreneur qui accède aux services sociaux et à la protection sociale. Il est décisif d’accompagner les entreprises pour l’accès au marché et l’adaptation de la fiscalité à l’exercice d’un entrepreneuriat populaire. C’est à cette condition que l’entreprise gagnera son ancrage dans sa société pour en favoriser la cohésion.

Conclusion : le renouveau coopératif, faire société et influencer les autres modèles économiques

Chacune des études de cas de coopérative montre le champ ouvert et dynamique de l’entrepreneuriat populaire sous l’impulsion des coopératives qui propulsent des groupes sociaux durablement sur le marché, créent des richesses redistribuées, bâtissent des institutions qui s’éprouvent et se développent, font de la solidarité le moteur du pouvoir citoyen au sein de l’économie dont le caractère pluriel n’apparaît pas dans les politiques publiques.

Sous les effets de la crise, les solidarités se sont reconfigurées en Afrique : la solidarité verticale (de l’État vers les citoyens) s’est fortement affaissée avec l’amaigrissement des politiques sociales, tandis que la solidarité horizontale (au sein des groupes de pairs et dans les communautés sociales plus larges) épouse de nouvelles formes et se maintient d’une certaine manière. Les transferts de ressources entre les classes sociales par le truchement du lien familial ou grâce au dynamisateur associatif mais aussi les soutiens reçus des migrants internes et internationaux demeurent la marque d’une fibre solidaire partout en Afrique. Il en résulte un pouvoir d’agir des groupes populaires qui s’affirme par des coopératives et mutuelles, revitalisant les liens par la solidarité active face au besoin d’impulsion de secteurs porteurs de croissance inclusive. Cette capacité d’action se matérialise également par des formes de mutualisation de ressource pour parer à des vulnérabilités engendrées par la crise : perte d’emploi, pas d’affiliation à des structures formelles de protection sociale, non-accès aux ressources pour entreprendre, etc.

Par exemple, pour être durable, la solidarité syndicale a besoin de cadre mutualiste qui concilie l’appui à l’entreprenariat dans la vie associative et l’élargissement de la base sociale des organisations des travailleurs. La finance solidaire devient un mécanisme adapté aux besoins de création et de développement de micro-entreprises pour les travailleurs des secteurs formel et informel.

Le renouvellement de la base syndicale par le bassin vaste du secteur informel se réalise par le biais des acteurs associés et organisés autour d’un besoin commun de promotion de l’entreprise sociale, mutualiste et coopérative. L’action syndicale peut être portée par une diversité de formes organisationnelles démocratiques épousant les réalités de leur environnement socioculturel. Lorsque les centrales syndicales s’ouvrent à leur monde, celui-ci devient pluriel et socialement puissant. L’accessibilité de la mutuelle dans le secteur de l’économie populaire tient à la souplesse et à la diversité de l’offre de services et à sa capacité à s’ajuster aux modes d’être des acteurs du secteur informel. L’évolution de l’offre de services de la MECSO se traduit par une souplesse des produits. Le résultat tient à la multiplicité des types d’épargne : libre en fonction des ressources acquises à chaque versement, bloquée à une somme fixe avec des plafonds différents pour chaque catégorie, orientée vers les besoins de soins de santé ou en prévoyance d’autres risques, en fonction d’urgence ou orientée vers un projet.

Évidemment, la coopérative n’est pas l’apanage des classes populaires [2]. D’autres groupes issus des classes moyennes et même des couches aisées y recourent ou s’y organisent volontairement. En Afrique, des coopératives tissent les liens dans différents types de quartiers de couches aisées, moyennes ou pauvres. Dans des secteurs comme l’industrie minière, des entrepreneurs se mettent ensemble pour coopérer et maintenir leur capacité à agir en dépit de la présence des grandes firmes internationales.

En somme, les initiatives entrepreneuriales sont diverses, les groupes qui les portent le sont autant. Les liens sociaux sont productifs tout en se posant comme facteur de durabilité des entreprises collectives. Ce texte visait à montrer comment le renouveau coopératif ne devrait pas se confiner dans le cadre associatif mais son paradigme intégrateur pourrait inspirer d’autres modèles économiques moins humanisant et, ce faisant, faire société.

Références

CTB, Trade For Development, Huile d’argan : l’or du Maroc.

Leclercq M. « Itinéraire du Rooibos (thé rouge) en Afrique du Sud », Revue d'anthropologie des connaissances 3/2011 (Vol. 5, n° 3), p. 533-550. DOI : 10.3917/rac.014.0533.

Leclercq M., 2009. « Identités et changements techniques liés à la culture du rooibos en Afrique du Sud », Localisation et circulation des savoir-faire en Afrique, organisé par Pascale Moity-Maïzi et Bruno Martinelli,Aix-en-Provence, 19-20 mars 2009.

Leclercq M., 2008. « Savoir-faire locaux sur la cueillette et la culture de la tisane endémique rooibos en Afrique du Sud, dans un contexte de valorisation de la ressource par des labels », XIIIème congrès annuel des Etudiants-Chercheurs du Muséum national d'histoire naturelle, L'Homme et la Nature au cours du temps: de la compréhension à la conservation. 9-10 janvier 2008, Paris.

Lettre d’information Amigha (Association marocaine pour l’identification géographique d’huile d’Argane), décembre 2008.

Marine Veith, Portrait d'entreprise: Heiveld ou l’empowerment des exportateurs sud-africains de rooibos

Zoubida Charrouf, «L’arganier, levier du développement humain en milieu rural marocain», synthèse du Colloque international des 27-28 avril 2007, Rabat.

http://www.association-ibnalbaytar.com
http://www.ethiquable.coop/fr/filieres-impacts/the/the/producteurs/wupperthal-rooibos-tea.php
http://www.southAfrica.info
http://www.fairtradelabel.org.za/Pagesetter/viewpub/tid/5/pid/5
__________________________________________________________________

[1] Outre  son  goût  subtil,  l’huile  d’argane  extra-vierge  permet, à  l’instar de  l’huile  d’olive,  de  lutter  contre le «mauvais  cholestérol»  (LDL)  et d’augmenter le «bon cholestérol»  (HDL).  Cette  huile, à la composition    particulièrement équilibrée, comporte des principes actifs comprenant plus ou moins 80% d’acides gras  insaturés,  près  de 30%  d’acides gras polyinsaturés, et elle est également très riche en tocophérols  (vitamine  E)  aux  propriétés  antioxydantes  et  en  acide linoléique (famille des omégas 6) . On  lui  reconnaît  des  vertus  anti-inflammatoires qui jouent un rôle positif dans la lutte contre le rhumatisme, alors que ses propriétés hypocholestérolémiantes sont indiquées dans la prévention de l’artériosclérose. 
[2]
  En 2007, les données retenues par la Confédération sénégalaise des coopératives montrent qu’un sénégalais sur cinq est coopérateur.

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juin 2012
« Les coopératives sont une alternative au capitalisme sauvage » affichent d'emblée les dirigeants du mouvement coopératif. On semble prendre conscience de la profondeur de la crise et de sa portée internationale (le capitalisme financier, les dégâts écologiques). On découvre aussi que les coopératives, par leur approche, s'en sortent mieux comme entreprises. Portrait du mouvement au Québec et ailleurs.
     
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