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Volume 1, no 2 |
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Introduction au numéro 2 |
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Pour télécharger en format PDF, cliquez ici IntroductionComité éditorial : Gilles L. Bourque, Richard Lapointe et Jean Sylvestre
Voici enfin le 2e numéro de la Revue vie économique, maintenant accessible seulement par abonnement. Initiative des Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité, la revue se veut un lieu de débat et de réflexion sur les enjeux économiques actuels. Nous voulons aller au-delà de la pensée économique traditionnelle, trop souvent réduite aux seules transactions marchandes, en abordant les dimensions politique et sociétale des activités économiques contemporaines. La revue se veut non académique dans la mesure où nous désirons qu’elle s’adresse autant aux diverses disciplines universitaires qu’aux réseaux syndical, associatif, communautaire et environnemental.
Le premier numéro de la revue (disponible gratuitement sur notre site) a porté sur un seul thème : « Repenser l’économie ». Jusqu’à ce jour, près de 7 000 visiteurs [1] sont venus sur le site Internet de la coopérative pour consulter les articles de ce numéro spécial. Nous avons eu de bons témoignages de l’intérêt de ce dossier, en particulier pour la diversité des opinions qui y étaient exprimées. Il semble que la notion de « modèle québécois de développement » fait encore recette puisque le texte de Lévesque et Bourque, qui porte sur ce thème, a été l’article le plus consulté du numéro. Nous en prenons bonne note.
Présentation du numéro
Pour le dossier du deuxième numéro, nous avons choisi d’aborder le thème du capital au service du travail et du développement. Par cette expression, nous entendons les nouvelles initiatives du mouvement syndical dans le domaine de la finance, que ce soit sur le plan des placements ou des investissements. Mêmes si ces initiatives sont relativement récentes, elles ne sont plus tout à fait nouvelles. L’expérience des fonds de travailleurs est maintenant bien connue de tous. Ce qui l’est moins ce sont les nombreuses autres initiatives qui ont émergé, ici ou ailleurs dans le monde. À une époque où nous pouvons malheureusement constater les conséquences tragiques d’une finance laissée à elle-même, c’est-à-dire accaparée par des spéculateurs animés par le seul appât du gain de court terme, l’enjeu de la maîtrise de l’épargne des travailleurs est particulièrement à propos. Depuis quelques années, le mouvement syndical international et ses diverses composantes nationales ont été traversés par des débats portant sur la reconnaissance d’une responsabilité sociale élargie des entreprises et des nouvelles pratiques en la matière. Parallèlement, les militants associés à la gestion des caisses de retraite ont réalisé que la finance responsable pouvait représenter un nouveau fer de lance de l’intervention syndicale dans le domaine de la protection des droits des travailleurs.
Trop longtemps désintéressés par les conséquences extra-financières de la gestion de ces actifs, les fiduciaires de capitaux collectifs de retraite expérimentent graduellement de nouvelles manières d’exercer leur rôle d’actionnaire d’entreprises publiques, de façon plus responsable. Ils se sont même engagés dans des formes de gestion de capital plus « actives », directement entrepreneuriales, en participant à des initiatives de développement économique qui ont des impacts concrets plus durables pour leur communauté ou leur secteur d’activité. En innovant socialement par l’adoption de nouvelles formes d’intervention économique, c’est-à-dire par des initiatives qui vont au-delà des voies traditionnelles de l’action syndicale (représentation et défense des droits des travailleurs), le mouvement syndical a pu aborder les grands enjeux de l’activité économique en apportant une contribution directe aux solutions possibles. Le syndicalisme québécois a innové dans ce domaine. Il est temps de faire un bilan et, possiblement, de se comparer à ce qui se fait ailleurs. C’est ce que cherche à faire le dossier de ce numéro.
Mais avant de présenter les contributions à ce dossier, je me permets d’attirer l’attention sur une initiative importante. C’est en novembre 1999 que le comité exécutif de la Confédération internationale des syndicats libres (la CISL est devenue depuis sa fusion avec d’autres regroupements la Confédération syndicale internationale, la CSI) décide de mettre sur pied un Comité conjoint pour la coopération internationale sur le capital des travailleurs, en concertation avec le TUAC (la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE) et les Fédérations syndicales internationales qui regroupent les syndicats nationaux sur une base professionnelle.
Cette nouvelle instance prend forme dans la foulée d’une lutte qui a marqué les années récentes du mouvement syndical : la campagne mondiale pour le respect des normes fondamentales du travail de l’OIT à l’intention de la minière Rio Tinto. Jusqu’à cette date, les échanges d’informations concernant les campagnes d’actionnaires se faisaient dans le cadre des rencontres du Comité économique et social de la CISL. La décision de créer une instance plus spécialisée découle de la reconnaissance de la nécessité de partager des expériences communes dans le domaine des pratiques financières, à même de développer une compréhension globale des tendances en émergence et une capacité nouvelle de pouvoir agir sur elles.
La campagne mondiale contre Rio Tinto trouve son origine dans l’appel de l’affilié australien de l’International Federation of Chemical, Energy, Mine and General Worker’s Union (ICEM), membre de la CISL, qui depuis 1993 était impliqué dans un conflit portant sur la reconnaissance syndicale. En s’appuyant sur les droits de vote des affiliés de la CISL d’Australie, des États-Unis, de l’Afrique du Sud, du Royaume-Uni, des ONG et des fonds de placement britanniques acquis aux principes de la finance socialement responsable, l’ICEM a finalement été en mesure de déposer des résolutions d’actionnaires aux assemblées de la minière Rio Tinto en 2000.
Malgré l’avis contraire aux actionnaires, signifié par le conseil d’administration de l’entreprise, la résolution portant sur l’intégration des conventions de base de l’OIT dans la politique de relations professionnelles de l’entreprise avait alors recueilli 17,3 % des votes, ainsi que 10 % d’abstention. Cette résolution constituait un précédent dans une entreprise d’une telle envergure. L’appui significatif qu’elle a obtenu auprès des investisseurs incitera d’ailleurs la direction de l’entreprise à engager des discussions avec les syndicats australiens et permettra, quelques années plus tard, de faire reconnaître les droits syndicaux fondamentaux des syndiqués australiens.
À la lumière de ces défis, mais aussi des opportunités en émergence dans le domaine de la finance, le Comité conjoint CISL/FSI/TUAC pour la coopération internationale sur le capital des travailleurs se donnait, en décembre 2003, les moyens d’accélérer la diffusion de nouvelles pratiques financières initiées par le mouvement syndical. En se dotant d’un secrétariat permanent, avec un bureau au Canada et un autre en Europe, le Comité voulait renforcer la voix syndicale dans les débats sur la gouvernance des entreprises et sur la gestion socialement responsable du capital des travailleurs en concentrant ses efforts sur quelques défis majeurs.
Quelques jours avant le lancement du présent numéro de la Revue, le « Comité pour la coopération internationale en matière de capital des travailleurs » (CWC), qui réunit des représentants du mouvement syndical international, a tenu pour la première fois l’une de ses réunions plénières à Montréal (les 29 et 30 septembre). Le comité regroupe aujourd’hui des représentants syndicaux d’une vingtaine de pays, et en premier lieu ceux ayant des responsabilités fiduciaires de leur caisse de retraite, mais également d’une large variété d’institutions financières créées à l’initiative des mouvements syndicaux nationaux, telles que le Fonds de solidarité et Fondaction. Surveillez la parution des vidéos sur OikosBlogue puisque notre coopérative va produire deux vidéos sur cette rencontre dans les semaines à venir.
Les expériences québécoises de « capital au service du travail » ne sont donc pas uniques. Elles s’insèrent dans une dynamique internationale de création de contre-pouvoir à un système financier en manque de régulation ainsi qu’à une phase historique de la mondialisation des activités économiques trop fortement influencée par le laisser-faire. Les expériences québécoises ne sont peut-être pas uniques, mais le syndicalisme québécois a innové dans ce domaine. Plus que partout ailleurs, ce capital a été entreprenant en prenant la forme de capital de développement. Le texte de Gilles Bourque aborde l’originalité de l’expérience québécoise. Pour lui, les deux fonds de travailleurs ont apporté un effet multiplicateur irremplaçable aux actions des acteurs publics ou de la société civile pour la construction d’une autre économie. Ils représentent, à eux seuls, la résilience du modèle québécois, malgré un environnement politique parfois particulièrement hostile.
L’innovation québécoise des deux fonds de travailleurs est aussi unique pour sa mission sociale visant une participation accrue des travailleurs à la vie économique. Pour ces derniers, la participation passe nécessairement par la formation économique. Pour Claude Normandin et Francine Craig, respectivement de Fondaction et Neuvaction, la lecture de la réalité économique des entreprises et de leurs stratégies de développement s’avère de plus en plus complexe. D’où la nécessité d’outiller les travailleurs qui veulent agir sur la situation présente et future des entreprises grâce à un programme de formation qui vise développer une meilleure compréhension des enjeux de leur entreprise, dans une perspective de développement durable.
Dans son texte, Jean Sylvestre renchérit : ces pratiques de formation visent à accroître l’influence des travailleurs sur le développement du Québec en commençant pas là où ils peuvent agir : dans l’entreprise où ils travaillent. Le défi à affronter est celui de favoriser la circulation de l’information financière parmi le personnel des entreprises partenaires du Fonds de solidarité FTQ, ce qui suscite un grand intérêt des travailleurs quant à la pérennité de l’entreprise et le maintien des emplois, mais qui est souvent perçue comme un irritant par les entrepreneurs. L’expérience, nous dit Jean Sylvestre, montre plutôt que les entrepreneurs constatent qu’une telle formation est un excellent moyen de communiquer et de mobiliser le personnel de l’entreprise.
Pour compléter ce dossier, nous avons demandé à Frédéric Hanin de relater une expérience similaire aux États-Unis, le Heartland Labor Capital Network. Dans un contexte institutionnel très différent du Québec, Frédéric Hanin rappelle que les syndicats et les acteurs locaux sont confrontés à des défis importants, dès lors que le cadre législatif du travail n'est pas adapté aux enjeux économiques et financiers actuels. Son étude nous permet de prendre connaissance d’une stratégie syndicale récente, originale même si elle s’inspire à l’origine de l’expérience des fonds de travailleurs au Canada.
Nous avions aussi prévu un texte original portant sur une expérience d’intervention syndicale dans le domaine financier en France : le Comité intersyndical de l'épargne salariale (CIES), composé des confédérations CFDT, CGT, CFTC et CFE-CGC. L’auteur invité nous ayant fait faux bond, nous vous présentons un bref dossier web (gratuit) rassemblant quelques informations sur cette initiative, en nous appuyant sur des informations publiques et sur le bilan des acteurs de terrain.
Dans la section des articles hors thèmes, ce deuxième numéro accueille cinq auteurs qui abordent une diversité de thèmes reliés à la vie économique actuelle, au Québec et ailleurs. Dans un premier texte, Olga Navarro-Flores, qui a travaillé pendant plus de 10 ans dans le secteur de la coopération, cherche à comprendre comment les acteurs de la coopération internationale font pour construire des relations de partenariat dans un contexte de rapports de pouvoir inégaux. Pour ce faire, elle a étudié les relations de deux organisations de coopération internationale québécoises et de cinq organisations au Sud, spécifiquement au Guatemala.
Avec le deuxième texte, nous revenons sur des problématiques québécoises, montréalaises pour être plus précis. Lucie Dumais et Geneviève Shield se penchent en effet sur l’état de l’insertion socioéconomique des jeunes à Montréal. Avec trois partenaires issus d'organismes en insertion, leur projet a une perspective double : d’une part, une visée de recherche axée sur la description et l’analyse des besoins des jeunes Montréalais et, d’autre part, une visée de transfert de connaissances vers les intervenants sociaux. Les auteures estiment avoir mieux cerné les besoins des jeunes, de manière à donner une base solide pour réfléchir sur l'ajustement des pratiques d'intervention et des politiques publiques destinées aux jeunes Montréalais.
Les deux derniers textes, d’une facture beaucoup plus théorique, permettent de poursuivre le travail de réflexion de la Revue sur le thème du premier numéro : Repenser l’économie. C’est justement sous ce titre que Bernard Billaudot, professeur émérite à l’Université Pierre Mendès-France, à Grenoble, s’adresse aux lecteurs de la revue dans le premier d’une série de deux textes. L’objet de son article est de traiter les réponses théoriques qui peuvent être apportées à la question « comment définir la vie économique » ? Dans la partie qui est présentée dans ce numéro, l’auteur aborde les deux problématiques « classiques » en la matière : formelle et substantielle. Dans le prochain numéro, Bernard Billaudot fera état d’une nouvelle problématique qui capte ce qu’il y a de positif dans chacune des deux visions classiques, en levant cependant leurs limites et impasses parce la nouvelle vision présentée est à la fois historique, institutionnaliste et pragmatique.
Le dernier article est signé de la plume de Samir Amin, auteur prolifique et intellectuel engagé d’origine franco-égyptienne. Comme nous le signalions au début de cette introduction, la notion de modèle québécois de développement a fortement retenu l’intérêt des lecteurs de la Revue. Dans une même foulée, le texte de Samir Amin porte sur le modèle chinois de développement, ses origines et son parcours dans la mondialisation actuelle. Bien que son texte est d’une approche un peu difficile, il mérite une lecture attentive parce qu’il apporte une réflexion tout à fait pertinente sur la diversité du monde économique actuel, qui ne peut se réduire à un modèle économique univoque qui s’imposerait partout de la même manière.
Bonne lecture.
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